VICTOR HUGO par Jean et Sheila GAUDON


Jean et Sheila Gaudon faisaient partie de ces couples merveilleux qui ont illustré la recherche littéraire dans les dernières décennies du siècle passé : Georges et Mady Lubin, Francis et Madeleine Ambrière, Claude et Vincenette Pichois, Roger et Arlette Pierrot, qu’unissaient tous des liens amicaux, et dont j’ai eu aussi le privilège de partager l’amitié. Tous ou presque étaient plus ou moins des
francs-tireurs, des non-conformistes, à l’écart ou en retrait des coteries sorbonnagres ; et par leurs travaux ils ont légué aux générations futures une irremplaçable moisson, et un exemple de rigueur scientifique.

Jean Gaudon (1926-2019) a été un grand professeur, mais il a longtemps enseigné à l’étranger ; Manchester, Londres, Yale, avant de revenir en France à Paris XII, et même jusqu’à Pescara. Très tôt, dès 1954, à la demande de Roland Barthes, il publie un Victor Hugo dramaturge, premier opus d’une recherche de plus de cinquante ans consacrée à Victor Hugo, jalonnée en 1969 par sa thèse magistrale, Le Temps de la contemplation. L’oeuvre poétique de Victor Hugo des Misères au Seuil du gouffre (1845-1856), qui restera comme un maître-livre sur l’univers poétique de Victor Hugo. À côté de cette grande étude, et d’une bonne centaine d’articles, Jean Gaudon va s’appliquer à révéler des textes inédits et des correspondances : lettres de Hugo à Juliette Drouet ou à Léonie Biard, les
procès-verbaux des « tables parlantes » à Jersey ; il va également donner quantité d’éditions de textes de Hugo, mais aussi de Théophile Gautier, Verlaine ou Supervielle. On ne saurait oublier qu’il était aussi romancier et poète.

Sheila (1933-2017), née à Liverpool, a rencontré et épousé Jean Gaudon à Manchester ; elle enseigna plus de vingt ans à la Wesleyan University de Middletown (Connecticut) ; elle avait soutenu sa thèse en 1976 sur la correspondance Victor Hugo-Hetzel, dont elle assura ensuite la publication (2 volumes parus, en 1979 et 2004), restée, hélas !, inachevée. Sheila se rendait régulièrement à la Maison de Victor Hugo, place des Vosges, où elle avait un bureau, et où elle continuait à explorer les insondables cartons d’archives.

Tous deux ont collaboré aux deux grandes éditions d’OEuvres complètes de Victor Hugo, l’édition chronologique au Club français du livre sous la direction de Jean Massin en 18 volumes (1967-1970), et à celle de la collection « Bouquins » en 15 volumes (1985-2001) ; ils ont publié la Correspondance Victor Hugo Victor Schoelcher (1998) ; et surtout ils ont mis en route l’entreprise (là encore, hélas !)
inachevée de la Correspondance générale de Hugo, en commençant, avec leur complice Bernard Leuilliot, par la Correspondance familiale et écrits intimes, dont deux volumes seulement ont paru (1988-1991) allant jusqu’en 1839, l’éditeur ayant fait tomber le couperet sur cette édition qui demeure un modèle. Il y a aussi des expositions avec leurs précieux catalogues : Le Rhin (1985, à Paris et Düsseldorf), Victor Hugo, grandes oeuvres, grandes causes (1988, au Musée Victor Hugo de Villequier), ou Le Siècle de Victor Hugo à Tokyo (1996), pour Jean ; Exilium vita est, Victor Hugo à Guernesey (Hauteville House, 2002), pour Sheila ; mais cette distinction est illusoire, tant le travail était commun et partagé. Quand on aura dit tout ça, on n’aura (presque !) rien dit. Rien dit de cet amour partagé de la musique (pendant deux ans, Jean Gaudon avait assuré dans La Montagne la critique musicale du Festival de Vichy), entre piano et clavecin ; mais aussi de la peinture, telle exposition étant prétexte à un voyage, et les murs ornés de compositions de l’ami Roland Bierge ; et, à côté des belles choses, l’amour des bonnes choses, chez Guy Girard ou Michel Troisgros notamment, Sheila étant elle-même un fin cordon bleu ; et l’attachement à la demeure familiale de Saint-Didier-sous-Riverie, quand venait l’été… Et surtout un sens
profond de l’amitié, non prodiguée, mais chaleureuse pour quelques amis choisis.

La collection ici présentée est aussi une oeuvre commune, pour tâcher de rassembler l’ensemble de l’oeuvre de Victor Hugo en éditions
originales, et de l’entourer des livres de ses amis romantiques. Les autographes et documents, dont certains ont été donnés par Annette
Langlois-Berthelot, la petite-fille de Paul Meurice, ont été choisis parce qu’ils apportaient un renseignement inédit, ou une nouvelle piste aux recherches ; quelques-uns sont aussi marque d’amour, cadeaux de « Prairie Dog » à Jean.
Alors que Sheila continuait son travail sur la correspondance Hugo-Hetzel, une nouvelle tâche appelait Jean et Sheila : une biographie
de Hugo, que Jean voulait courte, mais où le moindre fait était vérifié à la source même ; elle ne verra jamais le jour…

« Il vivait. Il mourut quand il n’eut plus son ange »…

Thierry Bodin 
Expert